samedi 17 mars 2012

Politiquement correct : Sommes-nous les rois de la langue de bois ?


Le politiquement correct s'est répandu en France, notamment dans le domaine de la santé. Une pratique qui n'est pas sans poser problème.



Personne à mobilité réduite, à sexualité alternative, enfant différent... Apparu dans les années 1960 aux Etats-Unis, le politiquement correct a été inventé pour lutter contre toute stigmatisation d'un groupe de personnes en fonction de ses caractéristiques.
Depuis, il a fait son chemin dans de nombreux domaines de la société.
Une infantilisation de la société
En France, son usage remonte au début des années 1990. Sous couvert d'humanisme, il est alors de bon ton d'employer ces néologismes. Le champ lexical de la santé est particulièrement propice au politiquement correct. Des termes qui pourraient heurter les sensibilités sont peu à peu remplacés.
Les aveugles deviennent des non-voyants, l'avortement se transforme en interruption volontaire de grossesse. On évoque une longue maladie à la place d'un cancer et on parle d'accélération de fin de vie plutôt que d'euthanasie. Un vocabulaire pointé du doigt par certains qui dénoncent une infantilisation de la société. Celle-ci serait devenue incapable d'affronter des propos trop directs.
« Il y a une tyrannie de la transparence aujourd'hui. Cela fait débat. Je ne suis pas persuadée qu'on ait envie de tout entendre. C'est aux soignants de percevoir les signaux. Ils doivent pouvoir formuler des messages graves en adéquation avec la capacité psychologique de leurs interlocuteurs à les entendre », nuance Joanna Nowicki, professeur en sciences de l'information et de la communication à l'université de Cergy-Pontoise.
Un conformisme de la pensée
En attendant, de l'autre côté de l'Atlantique, où le politiquement correct est largement entré dans les mœurs, certaines dérives sont apparues. Aux Etats-Unis, qualifier un patient d'obèse (au lieu de personne différemment proportionnée), d'alcoolique (personne à sobriété différée) ou de drogué (personne présentant une conduite addictive, terme d'ailleurs à la mode dans l'Hexagone) peut vous créer des ennuis, voir des poursuites judiciaires.
Joana Nowicki reconnaît qu'il faut rester vigilant. « La grande dérive c'est l'auto-censure. Quand l'usage de mots pour qualifier un groupe de personnes - femmes, handicapées - devient obligatoire, il y a danger. Cela revient à imposer une manière de voir le monde. C'est une normalisation, un conformisme de la pensée », explique-t-elle.
Les rois de la langue de bois
Cependant, en France, nous sommes aujourd'hui encore assez loin des pratiques américaines. Si certains mots sont passés dans le langage courant, d'autres peinent à prendre racine. « La culture française s'adapte assez mal au politiquement correct. L'esprit français aime bien jongler avec la langue, avec l'implicite. En France, on dit sans dire mais en disant et seul un milieu averti comprend. Nous sommes plutôt dans la langue de bois », analyse Joanna Nowicki. La spécialiste rappelle d'ailleurs que les professionnels de santé ont toujours employé un vocabulaire jargonnant.
Autrefois, les médecins communiquaient ainsi entre eux en latin afin que les non-initiés ne les comprennent pas. Un autre problème...
Judith Korber

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