jeudi 1 mars 2012

le gérant d'un magasin de sex toys parisien a été condamné le 29 février dernier pour "délit de mauvaises moeurs"


Suite à la plainte déposée par l'association catholique CLER Amour et famille, le gérant d'un magasin de sex toys parisien a été condamné le 29 février dernier pour "délit de mauvaises moeurs" par le tribunal correctionnel de Paris. Le "Love shop" a ouvert en 2008 dans le 4e arrondissement de Paris à 90 mètres de l'école élémentaire et du collège Saint-Merri. Il propose des huiles de massage, de la lingerie fine, des godemichés, des vibromasseurs et d'autres objets coquins.

Condamné par la 10e chambre correctionnelle du tribunal de Paris, le 29 février dernier, à verser un euro de dommages et intérêts à CLER Amour et Famille pour avoir enfreint la loi sur la protection de l'enfance de 1987, réformée en 2007, Nicolas Busnel, le gérant du magasin a été dispensé de peine. Son avocat a annoncé qu'il fera appel du jugement, tandis que le gérant du magasin envisage de fermer dans les mois qui viennent. A moins de réorienter la gamme de ses produits, son commerce risque de faire l'objet d'une fermeture administrative pour avoir enfreint la loi interdisant "l'installation à moins de 200 mètres d'un établissement d'enseignement, d'un établissement dont l'activité est la vente ou la mise à disposition du public d'objets à caractère pornographique". Deux problèmes se posent. La loi ne précise, ni ce qu'est "un objet à caractère pornographique", ni si les établissements d'enseignement concernés sont tous les établissements de formation ou seulement ceux réservés aux mineurs.

Diriez-vous que la baisse progressive de l'influence des religions constitue la raison principale de la diffusion de la pornographie  dans la quasi-totalité des pays occidentaux?

Dans la diffusion massive de la pornographie, un très grand nombre de facteurs sociaux comme la sécularisation, l’urbanisation, l’éclatement des familles, la démocratisation de pratiques sexuelles ont certainement joué un rôle. Mais ce sont surtout les changements technologiques qui ont permis la production et la diffusion massive d’images, qui ont été décisifs.

Existe-t-il des œuvres pornographiques dans les grandes traditions religieuses?

Pour la plupart des philosophes et des juristes qui sont intervenus sur cette question, la pornographie est une représentation explicite de la sexualité qui n’a aucune prétention artistique, aucun objectif d’éducation politique ou sociale. Elle ne vise qu’à provoquer une excitation sexuelle. Il existe des représentations de la sexualité par des images ou des écrits dans les grandes traditions religieuses, parfois très explicites (comme les sculptures sur les temples hindous). Toutefois, du simple fait qu’elles ont, ou prétendent avoir, outre leur pouvoir érotique, une fonction d’édification ou de glorification de vertus comme la fertilité, elles ne seront pas jugées « pornographiques » au sens strict ni en droit, ni par les moralistes.

Les religions constituent-elles, encore aujourd'hui le principal obstacle à la pratique libre de la sexualité? Qu'en est-il de la morale séculière et laïque?

On change de registre en parlant des pratiques sexuelles et non de leur représentation. Il est difficile de définir ce que sont des pratiques libres. Disons, qu'elles sont jugées libres quand elles ne sont pas limitées au modèle familial monogame, à partenaires mutuellement fidèles pour l’éternité, hétérosexuel, en vue de la procréation, etc. Dans la mesure où dans la plupart des religions, la sexualité a une fonction de promotion de ce modèle familial unique, elles         représentent certainement un obstacle à une sexualité qui   sortirait de ce cadre. On peut     parfaitement envisager la possibilité que la sécularisation n’emporte pas avec elle le modèle          familial hétérosexuel. Voyez les résistances à l’homoparentalité au nom d’un  prétendu      intérêt de l’enfant ! La notion vague et psychologisante d’intérêt de l’enfant  prend le relais de la religion pour  promouvoir le modèle familial unique et traditionnel.

Quelles formes prend le cloisonnement entre le monde de la « pornographie » et la sphère publique?

La pornographie est un ensemble de représentation par images et écrits dont la diffusion devrait relever, à mon avis,  des  principes et des limites de la liberté d’expression artistique. Mais, dans la plupart des pays même très libéraux, ce n’est pas le cas, parce qu’on considère que la pornographie, n’est pas du grand art et qu’elle ne mérite donc pas la protection dont jouissent les œuvres d’art.  Mais s’il fallait qu’un film ou qu’un livre ait une valeur artistique  évidente pour échapper à la censure, les librairies et les salles de cinéma n’auraient plus  grand-chose à proposer au public. Le traitement des représentations sexuelles explicites me   paraît assez injuste pour cette raison.  Pour ne pas être censurées, elles doivent posséder des qualités artistiques  qu’on ne demande à aucun autre genre de représentation (mélodramatique, comique, etc.)

Quels sont les différents groupes sociaux hostiles à la pornographie? Quels sont leurs points de convergence et de divergence majeurs?

La plupart du temps, il s’agit d’association de défense de la famille marquées à droite voire à l’extrême droite. C’est ce qui fait d’ailleurs qu’elles sont souvent déboutées parce qu’elles n’ont pas vraiment vocation à définir ce qu’est l’art et si une représentation sexuelle  a une valeur esthétique ou non. L’argument de la protection de la jeunesse est leur seule arme, et  son exploitation réactionnaire est bien connue (il a servi à justifier la censure de la BD ou la critique du rock, etc.)

Si la sexualité doit demeurer dans la sphère privée et intime, pourquoi autoriser l'ouverture de commerce comme les sex shops ?

  Il faut faire attention à ce que les lois ne soient pas plus exigeantes pour la définition de ce  qui est autorisé en « public »  et de ce qui doit rester dans le « privé »  selon le style de vie  sexuelle. Certains sont choqués lorsque des gays, des vieux, des laids, des handicapés s’embrassent goulûment en public, et non lorsqu’il s’agit d’un couple jeune, beau,  et   hétérosexuel. Ils auront peut être envie dire aux premiers d’aller faire ça « en privé », alors  qu’ils seront plus indulgents pour les seconds. Ce genre de cas montre que, souvent, ce   qu’on veut renvoyer au « privé », n’est rien d’autre que ce que l'on ne supporte pas   personnellement en raison de ses propres préjugés (homophobes ou autres).
Il s'agit de la même chose, je crois, pour les sex shops.
On pourrait qualifier la lingerie féminine de « pornographique », exiger la fermeture des magasins qui en distribue partout où des enfants pourraient passer, voire demander qu’elle soit vendue « en privé » sur catalogue exclusivement pour ne prendre aucun risque.
Mais personne à part quelques puritains hystériques n’y pense, parce que la lingerie féminine n’évoque pas une sexualité « anormale »,  contrairement aux sex toys.

Le problème de la définition d'un  objet à caractère pornographique par les pouvoirs publics questionne-t-il la légitimité de cette décision  juridique?

Certainement. « Pornographique » est une qualification juridique qui fonde, dans certaines conditions, des sanctions pénales importantes (lorsque des représentations dites « pornographiques » sont susceptibles d’être perçues par des mineurs, entre autres).
Jusqu’à présent seules des représentations par image et écrits pouvaient être dites « pornographiques », pas le corps lui-même ou des objets.
Un sexe en érection n’est pas « pornographique ». Il peut le devenir s’il est filmé et que l’image est diffusée.  En qualifiant des objets de « pornographiques » et pas seulement    des  représentations par images ou écrits, on va au-delà de ce qui était admis jusqu’à    présent,dans un sens beaucoup plus répressif. Les bananes seront peut-être bientôt             interdites d’exposition dans un rayon de 200 m autour des écoles en raison de leur      pouvoir sexuel évocateur !

Selon vous, dans la République laïque, revient-il à l'Etat de s'interroger sur les effets sociologiques et psychologiques de cette présence et valorisation du sexe dans l'espace public?

Dans la conception que je défends au moins, l’État doit faire preuve de neutralité éthique comme il doit faire preuve de neutralité religieuse.  Plus précisément il doit rester aussi neutre en ce qui concerne les conceptions du bien sexuel, qu’en ce qui concerne les croyances religieuses. Le pluralisme moral devrait être aussi largement reconnu et protégé dans la république laïque que le pluralisme religieux. L'Etat ne doit pas dépenser d’argent public pour promouvoir la famille hétérosexuelle et elle seulement, mais pour protéger toutes les conceptions du bien sexuel, du moment qu’elles ne visent pas à causer des torts aux autres.

Comment articuler dans ce cas cette éthique minimale et  la protection  de l'enfance? Par quel biais juridique?

En ce qui concerne l’enfance, de quoi veut-on la protéger exactement ? Est-il légitime de promouvoir pour elle une seule forme de sexualité ? Pensez à la volonté de certains enseignants  d’éduquer à la tolérance sexuelle, dans le souci d’éviter les dépressions ou les suicides de jeunes homosexuels qui n’osent pas « sortir du placard ». Je la trouve bien orientée, alors qu’elle rencontre de fortes résistances chez les plus réactionnaires et les homophobes.
Il y a une telle hypocrisie dans l’argument de la protection de l’enfance ! On a parfois l’impression que, pour les pouvoirs publics, il est plus urgent de protéger les enfants de la vue d’un sexe en érection que de garantir aux plus pauvres un accès à la cantine ! Il me semble qu’il vaut mieux concentrer les efforts éducatifs sur la tolérance sexuelle, et ne pas imposer insidieusement ce modèle sexuel unique qui continue de faire des ravages.

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